Cet article est extrait de ma thèse professionnelle Voyage(s) : la convergence technologique pour réinventer l’expérience. Je vous invite à cliquer sur ce lien si vous souhaitez la lire dans son intégralité.
La patience est une vertu, mais le digital la met à rude épreuve. La vitesse de chargement d’un site web se joue au dixième de seconde près, et attendre trop longtemps le démarrage d’une vidéo en streaming produit plus de stress qu’un film d’horreur, selon une étude menée par Ericsson.
C’est l’ère de l’immédiat, du moment présent, sans délai, le shoot de dopamine. Les digital natives veulent des réponses instantanées. Toutes nos demandes doivent être satisfaites dans le temps le plus bref possible. Le smartphone, ce produit nomade qui nous accompagne partout, alimente ce besoin, au quotidien comme en voyage. Il est le support d’un accompagnement de plus en plus permanent dont nous explorerons les tenants. Pour l’appuyer, les outils conversationnels progressent, se nourrissent d’intelligence artificielle. Alors que la voix gagne du terrain, les assistants vocaux s’imposent dans le paysage du tourisme, petit à petit. Nous étudierons leurs impacts.
Tourisme et outils conversationnels : pour une assistance 24/7
Les technologies permettent aujourd’hui un accompagnement plus poussé, permanent, tout au long de l’expérience client, comme le montre le développement massif des parcours sans contact, un sujet que j’aborde en détail dans ma thèse professionnelle. Ce besoin d’accompagnement est d’autant plus présent dans le contexte que nous traversons. Michel Durrieu écrivait dans L’Après, écrit pendant la pandémie de COVID-19 que dans le futur, “l’agent sera, plus que jamais, garant du voyage, au sens intégral du terme.”
N’oublions pas que le parcours voyageur est rempli de points de friction, de questions, d’incertitudes. Le voyage est un service, il repose sur une base d’éléments plus ou moins tangibles où tout ne peut pas être prévu. Ainsi de nouveaux outils d’accompagnement digitalisés se sont développés, et des solutions existent pour maintenir le contact à tout moment.
Un accompagnement en temps réel pendant le voyage
Lors des Journées des Respirations Durables, j’ai rencontré l’équipe d’Altaï Travel, un réseau d’agences locales spécialisé dans le voyage outdoor, positif et responsable, le modèle-type de l’entreprise qui aime emmener ses clients au milieu du désert. Pour les accompagner, elle s’appuie sur l’application mobile « Mon roadbook Altaï », un outil créé en collaboration avec la start up grenobloise Mihikes. Le voyageur y retrouve l’intégralité de son itinéraire et des informations détaillées jour par jour : suggestions de randonnées, informations détaillées sur l’hébergement, recommandations et sélection d’adresses.
L’application offre un guidage pas à pas. Un trajet en voiture ? Google Maps s’ouvre automatiquement. Une randonnée ? On passe sur open street maps, un outil open source plus souple que j’évoquais déjà dans mon article sur les cartes en réalité augmentée. Pour accompagner ses voyageurs, Altai Travel contextualise ses cartes, ajoute des points de passage et du contenu pour valoriser les points d’intérêt.
Météo, convertisseur de devises, outil de traduction… Ce sont souvent les outils les plus basiques que réclament les clients. C’est en tout cas ce que me confiait Alexandre Vercoutre de Marco Vasco lors de notre entretien. Contrairement à Altaï Travel, Marco Vasco a préféré développer son outil en interne. L’application, qui en est déjà à sa troisième version, reprend le carnet de voyage sur-mesure co-créé avec le client, des informations touristiques et des services additionnels.
Gérer les imprévus du voyage
Mais que se passe-t-il en cas d’imprévu ? L’hôtel que vous avez dans votre feuille de route est complet ? Le bus prévu n’est pas passé, ou vous l’avez tout simplement raté ? Une activité annulée à cause de la météo ? Un doudou oublié ? Le voyageur indépendant s’appuiera alors sur une batterie d’applications et les acteurs du tourisme sur place. Celui qui aura réservé via une agence de voyage voudra prendre contact le plus rapidement possible avec celle-ci. Un voyageur a parfois besoin de réponses immédiates, de solutions rapides.
Chez Altaï Travel, un numéro de téléphone est disponible 24 heures sur 24 en cas d’imprévu. Chez Marco Vasco, on a multiplié les opportunités. Le voyageur peut prendre contact de quatre manières différentes pendant son voyage : avec l’application, en appelant son conseiller, par le réceptif et enfin via La Conciergerie Voyage, un service spécifique. L’objectif affiché est de “vous faciliter la vie avant, pendant et après le voyage”.
Le marketing conversationnel boosté à l’intelligence artificielle
Pour personnaliser l’expérience, il faut être au cœur de la relation pendant le voyage. C’est le constat qu’a fait Tristan Daube, vingt ans d’expérience dans la relation clients, et fondateur de TravelAssist, une startup qui s’appuie sur la technologie pour repenser la conciergerie de voyage. L’assistant de voyage TravelAssist.io est disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. L’interaction avec le voyageur est humaine, mais repose sur une intelligence hybride : “L’IA va travailler de manière collaborative avec le concierge pour aller chercher l’information au bon moment et réagir dans les meilleures conditions et de manière personnalisée en fonction du profil voyageur.”, expliquait Tristan Daube dans l’émission Smart Futur en Juin 2021. Dans ce cadre, l’intelligence artificielle ne remplace pas l’humain, mais elle l’assiste pour être plus pertinent et rapide dans les réponses apportées.
Comme pour les parcours sans contact, le fait de garder le lien pendant le voyage décuple les possibilités de services. La ligne ouverte en permanence permet de rassurer le voyageur, mais aussi de lui glisser des recommandations, des informations utiles, de lui proposer éventuellement des services supplémentaires. En captant les données, on améliore la connaissance client, et la possibilité ensuite de personnaliser les parcours, les conseils, de réagir en temps réel sur des situations de stress.
Outils conversationnels, tourisme et bonnes pratiques
Ce type d’assistants a vocation à se développer, en s’appuyant sur quelques bonnes pratiques à retenir :
- La simplicité de la prise en main : pourquoi ne pas s’appuyer sur les services de messagerie existants, ceux que tout le monde utilise déjà ?
- Des scénarios automatisés pour les réponses les plus basiques, nourri au machine learning. De l’humain pour tout le reste
- La data et l’IA pour personnaliser la relation et l’expérience
- Des réponses 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
Les outils conversationnels pour réinventer l’expérience
Parce qu’il s’inscrit dans une relation durable, qu’il multiplie les points de contact tout au long du parcours, le marketing conversationnel se prête bien au domaine du voyage. Aujourd’hui, chatbots, livechat et outils de messagerie instantanée permettent d’enrichir la relation avec le voyageur et de lui apporter des réponses sans délai.
Une autre tendance se développe au parallèle avec l’usage de plus en plus important de la recherche vocale. Ces interactions se multiplient, en particulier sur mobile, et le marché des smart speakers ne cesse de prendre du poids. Selon une étude Kantar les nouvelles générations “grandiront avec l’audio intégré dans leurs vies”. Toutes les questions et requêtes seront exprimées à voix haute avec une attente de réponse rapide et qualitative. Déjà, le tourisme s’est emparé du sujet. Nous le verrons.
Le Chatbot, un outil incontournable
En voyage, le chatbot est une solution simple à mettre en place, car il s’intègre facilement dans un écosystème familier pour le consommateur, comme whatsapp ou messenger. Le chatbot peut fournir des réponses de guidage, donner des informations sur des événements, des points d’intérêt. C’est une solution pratique, qui peut être mise en place à peu de frais. Mais pour être vraiment efficace, le chatbot a besoin de volume: “Le chatbot n’a d’intérêt que si vous avez un gros trafic”, précise Philippe Coste, le fondateur de OIQIA, une conciergerie 2.0 spécialisée dans la location de courte durée.
Un chatbot, même enrichi des bons scénarios et nourri au machine learning, n’aura jamais réponse à tout. Comme nous l’avons vu avec l’exemple TravelAssist, la relation humaine reste aujourd’hui la meilleure à même d’apporter des réponses personnalisées en toute circonstances pendant le voyage. Il reste malgré tout un formidable outil d’accompagnement, et même de médiation comme le montre le robot conversationnel développé par la startup Ask Mona.
L’exemple de Ask Mona
Ask Mona est un chatbot multifonctions, il sait recommander des sorties culturelles et les personnaliser, il peut servir d’assistant pour la visite des lieux culturels, il converse, pose des questions, lance des quizz, propose du contenu additionnel si on lui envoie une œuvre. Ask Mona se sert de l’intelligence artificielle, de la reconnaissance visuelle et progresse tout le temps dans sa capacité à gérer le langage naturel. On le retrouve aujourd’hui sous différents noms, par exemple Ask Betty au Grand Palais, ou Ask Twelvy à la fondation Louis Vuitton.
Voice first : quel avenir pour la voix ?
En 2018, Sundar Pichai, le CEO de Google, démontrait lors d’une conférence que Google Duplex, l’assistant personnel développé par le géant de la Silicon Valley, était capable de réserver une table au restaurant, sans éveiller le moindre soupçon de la part de l’interlocuteur au bout du fil. Google Duplex est aujourd’hui une réalité dans plusieurs pays, comme les USA, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande.
L’AI… Intelligente, vraiment ?
La maîtrise du langage naturel est un enjeu majeur pour le développement des assistants vocaux. Tout comme Google, Microsoft s’intéresse au sujet de près et a financé à hauteur d’un milliard de dollars OpenAI, un organisme sans but lucratif, responsable d’un nouveau modèle de langage révolutionnaire GPT-3, et présenté l’an dernier. Que fait GPT-3 ? Il cherche le mot suivant d’un texte, il prédit la fin d’une phrase, il invente une histoire sur un thème défini.
Nicolas Steegmann, ingénieur et fondateur de plusieurs startups de montage vidéo basées sur l’intelligence artificielle, a eu la chance d’assister à une démonstration de l’architecture GPT-3. Pour lui, s’il s’agit de l’outil le plus puissant du monde pour finir un texte, il n’y a rien d’intelligent là dedans. Il s’agit avant tout de connaissance, un savoir statistique. “Pour comprendre le monde, il en faut une connaissance sensorielle.”, disait-il lors d’une conférence VIP le 19 novembre 2020. En somme, GPT-3 est une énorme base de données qui sait parler.
Gérer une partie des interactions sans intervention humaine
Mais cette connaissance progresse. Beyond Verbal, une startup basée à Tel Aviv analyse l’intonation de la voix pour comprendre les émotions. Elle sait détecter 400 marqueurs d’humeur, de comportement ou de personnalité. En Nouvelle Zélande, Soul Machines a testé l’intelligence artificielle pour remplacer un service client et une étude a montré que 40% des interactions pouvaient être réglées sans intervention humaine.
Les outils basés sur la voix sont une composante essentielle de la convergence technologique en cours. On voit ce qu’elle peut apporter par exemple pour la réalité virtuelle ou la réalité augmentée, pour l’expérience du mouvement dans les véhicules autonomes, pour la visite d’un monument historique. L’audio permet de s’affranchir des écrans, il rend le mouvement plus libre. Les usages liés à l’audio et au vocal évoluent aujourd’hui autour de quatre grands pôles : l’audio à la demande, les smart speakers, la recherche vocale et le voice commerce.
Smart assistant et smart speaker
Précisons d’abord : un smart assistant est une intelligence vocale avec laquelle nous pouvons interagir, un smart speaker est un objet connecté. Amazon Echo et Google Home sont des smart speakers, Alexa et Siri sont des smart assistants. Ils peuvent constituer de bons compagnons de voyage.
Que ce soit Google, Amazon ou Apple, tous disposent de solutions dédiées au monde du tourisme et adaptées aux attentes du voyageur. Amazon, par exemple, propose Alexa for Hospitality, une version avec des skills dédiés. Il vient de trouver un accord avec Disney pour installer cette solution dans les hôtels du parc Walt Disney World à partir de 2022. Baptisé Hey, Disney, l’assistant promet plus de 1 000 interactions à découvrir. Il y a du très concret – demande d’oreillers, parcours le plus rapide – et du plus magique, avec un compagnon spécialement créé pour vous accompagner, des histoires à écouter et des aventures interactives.
Les compagnies aériennes trouvent également de l’intérêt dans le marketing conversationnel. Avec KLM smart pack, son assistant vocal intelligent et empathique, la compagnie néerlandaise veut accompagner ses voyageurs depuis la recherche de vol jusqu’aux informations en temps réel sur son statut. Elle s’appuie sur Google Home, puis sur Facebook Messenger en mode nomade.
Le grand bond du marketing automation
Toujours dans une logique conversationnelle, le marketing automation permet de générer des scénarios de communication one to one tout au long du parcours voyageur. Les hébergeurs envoient toujours un email de confirmation, mais ils sont moins nombreux ceux qui continuent ensuite avec des communications avant, pendant et après le séjour. Pourtant, ces emails et notifications, qui peuvent être automatisés, sont les bienvenus et sont plébiscités par le voyageur. Grégory Cassiau de l’agence Les Conteurs rappelait ainsi lors des Travel Content Summit 2021 qu’un email envoyé juste après la visite d’un office de tourisme a un taux d’ouverture de 70%. Les touristes qui sont sur une destination sont des cibles ultra-qualifiées. Ils sont en attente d’informations, d’activités, d’idées. Cette automatisation s’inscrit évidemment dans l’enrichissement des parcours sans contact, du voyage intelligent et du MaaS, que nous abordons dans d’autres chapitres,, pour ne citer que quelques exemples.
Doit-on encore apprendre les langues étrangères ?
Connaissez-vous Zoé ? Non ? Alors faisons les présentations. Zoé est un assistant vocal présent dans les cabines des navires MSC Croisières. C’est Harman, une filiale de Samsung, qui lui a donné vie, sous forme d’enceinte connectée. La particularité de Zoé, c’est qu’elle parle couramment sept langues, pour s’adapter aux demandes des croisiéristes de différentes nationalités.
La traduction instantanée au service des voyageurs
Parce que google pense que le speech-to-speech est « clé pour faire disparaître la barrière du langage entre les peuples tout autour du monde » (source), il a créé en 2019 Translatotron, le premier traducteur instantané qui reproduit le timbre de votre voix dans une autre langue. Translatotron 2, la mise à jour développée en 2021, promet de mieux capter encore la voix de l’émetteur. Avec les progrès de la traduction instantanée et des technologies vocales, avons-nous encore besoin d’apprendre les langues étrangères ?
Le digital réduit les barrières de la langue. Les guides virtuels se moquent de votre nationalité, les lunettes augmentées affichent la traduction instantanée, et avec google translate, plus besoin de stresser quand le menu de ce restaurant de Pékin n’est écrit qu’en chinois. Une photo suffit pour traduire l’ensemble des plats proposés.
L’essor de l’apprentissage des langues étrangères
Le digital, par sa capacité à nous aider à communiquer entre personnes de nationalités, de cultures et de langues différentes, devient le langage universel de l’humanité. C’est un bienfait pour un grand nombre d’usages, une piste pour inciter plus de personnes à voyager. Mais la langue reste le marqueur d’une culture. Les sonorités, les accents font partie du voyage, et d’ailleurs jamais autant de personnes ne se sont mises à apprendre les langues. Le site Babbel, qui a dépassé les 10 millions d’abonnement dans le monde, annonçait fin 2020 que son activité avait doublé depuis le début de la crise, avec un intérêt du public français pour les langues en hausse de +75%. Et pour apprendre les langues, là encore, la technologie s’en mêle. L’application Elsa se pare d’intelligence artificielle, Lingvist promet un apprentissage intelligent et Tandem est collaborative, pour n’en citer que quelques-unes.
Ce que nous constatons encore une fois, c’est que la technologie nous offre plus de liberté. Celle de communiquer plus facilement, sans effort particulier, ou celle de continuer à s’immerger dans une culture par tous ses aspects.
Sources additionnelles :
- Durrieu, M., & Santos, G. (2020). L’Après. Cherche Midi.
- Tungate, M. (2017). The Escape Industry : How Iconic and Innovative Brands Built the Travel Business. Kogan Page Publishers.
- Diamandis, P. H., & Kotler, S. (2020). The future is faster than you think : How converging technologies are transforming business, industries, and our lives. Simon & Schuster.
- Colombo, E. (2020). Turismo mega trend : Smart destination e turismo digitale: AI, Blockchain, Cyber, IoT e 5G. Hoepli.
Photo de couverture – @antoinebarres – Unsplash